R. de Chateaubriand, Atala, 1801 - Extrait

Modifié par Delphinelivet

La mort d’Atala

Chactas, un chef indien, veut se marier à la jeune Atala qui l'a délivré, mais celle-ci pense qu'elle est condamnée à rester vierge et renonce donc à son amour pour Chactas : elle décide d'avaler un breuvage empoisonné.  

« Au matin de leur premier jour dans la mission du père Aubry, alors que Chactas1 part visiter le village et rencontrer les indiens convertis qui l’accueillent, Atala avale un poison mortel. À leur retour, Chactas et le père Aubry trouvent Atala mourante. Ils ne peuvent que recueillir ses dernières paroles : elle leur explique la raison secrète de son geste : promise par sa mère au célibat et à la chasteté, elle a préféré mourir que d’enfreindre son serment.

“Hélas ! mon père, dit Atala, je vous ai cherché la nuit dernière ; mais le ciel, en punition de mes fautes, vous a éloigné de moi. Tout secours eût d’ailleurs été inutile ; car les Indiens mêmes, si habiles dans ce qui regarde les poisons, ne connaissent point de remède à celui que j’ai pris. Ô Chactas ! juge de mon étonnement, quand j’ai vu que le coup n’était pas aussi subi que je m’y attendais ! Mon amour a redoublé mes forces, mon âme n’a pu si vite se séparer de toi."
Ce ne fut plus ici par des sanglots que je troublai le récit d’Atala, ce fut par ces emportements qui ne sont connus que des Sauvages. Je me roulai furieux sur la terre en me tordant les bras, et en me dévorant les mains. Le vieux prêtre, avec une tendresse merveilleuse, courait du frère à la sœur, et nous prodiguait mille secours. Dans le calme de son cœur et sous le fardeau des ans, il savait se faire entendre à notre jeunesse, et sa religion lui fournissait des accents plus tendres et plus brûlants que nos passions mêmes. [...]
Hélas ! ce fut en vain qu’il essaya d’apporter quelque remède aux maux d’Atala. La fatigue, le chagrin, le poison et une passion plus mortelle que tous les poisons ensemble, se réunissaient pour ravir cette fleur à la solitude. Vers le soir, des symptômes effrayants se manifestèrent ; un engourdissement général saisit les membres d’Atala, et les extrémités de son corps commencèrent à refroidir : "Touche mes doigts, me disait-elle, ne les trouves-tu pas bien glacés ?" Je ne savais que répondre, et mes cheveux se hérissaient d’horreur ; ensuite elle ajoutait : "Hier encore, mon bien-aimé, ton seul toucher me faisait tressaillir, et voilà que je ne sens plus ta main, je n’entends presque plus ta voix, les objets de la grotte disparaissent tour à tour. Ne sont-ce pas les oiseaux qui chantent ? Le soleil doit être près de se coucher maintenant ? Chactas, ses rayons seront bien beaux au désert, sur ma tombe !" »

René de Chateaubriand, Atala, 1801


1. Chactas : un des chefs des Indiens.

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